Brillant chroniqueur de son temps, Gustave Caillebotte (1848-1894) est un artiste et mécène fortuné. Il met à profit son héritage pour collectionner les oeuvres des artistes impressionnistes, mais aussi peindre des oeuvres singulières, avec des cadrages parfois surprenants et un souci de réalisme frappant. À travers ses tableaux, il nous emmène dans le Paris de la seconde moitié du XIXe siècle, profondément remodelé par Georges Eugène Haussmann (1809-1891).

Elève de Léon Bonnat (1833-1922), Caillebotte entre en mars 1873 à l’École des beaux-arts où il étudie brièvement. Ses tableaux sont emprunt de réalisme, autant dans ses jeux de lumière et de couleur, son sens de la perspective et son goût pour le détail. S’il pratique l’art de la peinture, et participe à plusieurs reprises aux expositions impressionnistes, il est également un grand collectionneur et mécène de son époque.

Les vues de Paris sont récurrentes dans l’Oeuvre de Caillebotte. À plusieurs reprises, et sous divers points de vue, il immortalise les grandes avenues de la capitale qui ont vu le jour sous le Second Empire. Entre 1855 et 1870, le baron Haussmann mène de profonds travaux d’urbanisation à Paris. Ce projet permet la création de nouvelles rues, d’espaces verts, de gares, de ponts ainsi que d’égouts et de nouveaux équipements sur les monuments publics. Ce sont ces infrastructures, témoin de la modernité, que Caillebotte dépeint dans ses tableaux.

Certaines rues sont parfaitement identifiables. Dans Rue de Paris, temps de pluie, Caillebotte peint le quartier de l’Europe du côté de la place de Clichy. Il rend compte de la monumentalité des carrefours avec ses multiples points de fuite. Il peuple son tableau de nombreuses figures abritées sous des parapluies, à commencer par le couple qui nous fait face. Les pavés sont luisants, signe que la pluie tombe à grosses gouttes. Elle se reflète également sur la surface lisse des parapluies, et explique le choix d’une palette grisâtre. Caillebotte s’intéresse ici aux effets atmosphériques, restant fidèle à son désir de réalisme.

Le Pont de l’Europe témoigne particulièrement bien de la modernité des grands travaux d’Haussmann. Ce pont métallique surplombe les voies ferrées de la Gare Saint-Lazare. Caillebotte s’applique à détailler l’assemblage des poutre de fer, toujours dans cette volonté de dépeindre avec le plus de fidélité possible les nouvelles infrastructures parisiennes.
Peindre les rues de Paris, c’est aussi peindre les parisiens. Caillebotte s’applique à illustrer leurs activités, leurs comportements, et leur mode vestimentaire. Les hommes portent de haut couvre-chef, et les femmes se cachent du soleil derrière leur ombrelle, vêtues de robe à la mode. Les boulevards sont des lieux de sociabilité essentiels au XIXe siècle, d’autant plus après les grands travaux d’Haussmann.

Caillebotte présente Peintres en bâtiment à la troisième exposition impressionniste, datée de 1877. Cette oeuvre nous transporte dans la rue de la Pépinière, où travaillent plusieurs ouvriers. Ils examinent la vitrine qu’ils devront prochainement repeindre. Ici, Gustave Caillebotte nous fait découvrir une autre facette de Paris, loin des élites et de leur quotidien doré. Avec ces peintres en bâtiments, l’artiste s’attachent à illustrer la réalité du quotidien, sous un temps couvert, avec son trottoir lisse et ses longues rues grises. Avec ces peintures aux sujets multiples, Gustave Caillebotte s’impose comme un merveilleux chroniqueur de son temps.
Les peintures de rues sont également un moyen pour Caillebotte de jouer avec les règles de perspectives. Les rues s’étendent à l’horizon, et paraissent ainsi interminables. Cela nous renvoie à une citation de Victor Hugo (1802-1885) qui écrit en 1869 : « Que c’est beau, de Pantin on voit jusqu’à Grenelle ! Le vieux Paris n’est plus qu’une rue éternelle ».

Les Raboteurs de parquet est l’un des chefs-d’oeuvre les plus connus du peintre. Il nous emmène ici dans les coulisses des appartements haussmanniens. Caillebotte rend précisément compte du travail quotidien des raboteurs, en s’intéressant à leurs gestes, aux outils qu’ils utilisent, le tout avec une vue plongeante qui met en valeur le parquet sur lequel ils travaillent. La perspective coupe la fenêtre, nous apercevons à peine quelques architectures au loin. Le sujet ne porte désormais plus sur le caractère spectaculaire de l’urbanisme, mais plutôt sur les ouvriers qui concourent à créer le nouveau Paris d’Haussmann.

Caillebotte change parfois de point de vue en présentant Paris depuis un balcon. Ce motif est récurrent dans ses oeuvres. La figure humaine est souvent isolée, contemplative face à la capitale nouvelle sous ses yeux. L’artiste introduit la psychologie dans ses peintures, et témoigne ainsi un intérêt pour ses contemporains et leur relation avec l’urbanisme.

Certaines vues sont plus audacieuses ; dans Vue prise à travers un balcon, les rues de Paris n’apparaissent que partiellement derrière la ferronnerie du balcon. Il s’est probablement inspiré de Pissarro, qui a lui aussi peint des oeuvres à ces vues singulières. Cette peinture de Caillebotte témoigne ainsi de sa capacité d’invention et de l’influence de ses contemporains.

En octobre 2024, à l’occasion des 130 ans de la mort du peintre, le musée d’Orsay lui consacre une exposition temporaire évènement. « Caillebotte, peindre les hommes » entend explorer ses oeuvres sous un thème original, celui des figures masculines. Une merveilleuse occasion d’admirer les chefs-d’oeuvre de Caillebotte, notamment ses nombreux tableaux prêtés par des musées étrangers comme l’Art Institute de Chicago, et le J. Paul Getty Museum de Los Angeles.
